La doctorante de McGill Kahtehrón:ni Iris Stacey a trimé dur pour apprendre le mohawk à l’âge adulte.
Afin d’améliorer sa maîtrise du kanien'kéha, elle a fait appel à des aînés de Kahnawake, sur la Rive-Sud de Montréal.
Là-bas, elle a participé à un programme d’immersion pour adultes et cofondé un « foyer de revitalisation linguistique », où parents et jeunes enfants peuvent apprendre la langue ensemble.
« J’ai grandi dans la longue maison. Les aînés nous ont toujours livré le même message, précise-t-elle. Ils nous encourageaient sans relâche, en nous rappelant l’importance d’apprendre le mohawk pour que nos cérémonies continuent de se dérouler dans la langue ancestrale.
Son projet de recherche doctorale à la Faculté des sciences de l’éducation de McGill porte sur la revitalisation des langues autochtones.
La préservation de la langue préoccupe grandement les communautés autochtones du Canada et d’ailleurs, et les Nations Unies ont d’ailleurs proclamé 2019 l’Année internationale des langues autochtones.
Dans son rapport final, la Commission de vérité et réconciliation du Canada mentionne que de nombreuses langues autochtones toujours vivantes ici sont grandement menacées, notamment parce qu’autrefois les élèves autochtones étaient punis, « souvent sévèrement », s’ils parlaient la leur dans les pensionnats.
« Les dommages ont touché les générations suivantes, car les anciens élèves se trouvaient incapables d’enseigner leur langue ou leurs coutumes culturelles à leurs propres enfants, ou ne voulaient pas le faire », souligne-t-on dans le rapport.
« Je dirais que nous sommes vraiment à la croisée des chemins », estime Janine Metallic, professeure adjointe au Département d’études intégrées en sciences de l’éducation et membre de la Première Nation des Micmacs de Listuguj.
Il y a quelques années, sa mère et sa tante, qui enseignent toutes deux le micmac, ont dénombré tout au plus 400 locuteurs sur près de 4 000 habitants.
« Je pense que les gens réalisent que nous sommes probablement à une génération de voir notre langue disparaître. Il y a quelques jeunes locuteurs, mais ils sont rares. »
Les universités, de fidèles alliées
Inspiré par les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, le Groupe de travail du vice-principal exécutif sur les études et l’éducation autochtones soumis un plan de réconciliation pour l’Université.
« McGill doit consacrer ses efforts là où elle peut le plus contribuer à l’enseignement des langues et à leur revitalisation dans les communautés autochtones, tout en tenant compte des perspectives et des besoins des communautés autochtones tels qu’ils sont exprimés par leurs membres », peut-on lire dans l’ un des 52 appels à l’action du rapport final publié par ce groupe.
Par ailleurs, le Département de linguistique et le Bureau de la formation des maîtres inuits et des Premières nations de McGill ont tenu en mai 2018 un symposium sur le rôle que peuvent jouer les universités dans la survie et la revitalisation des langues autochtones. Cet événement réunissait, sur le campus et à Kahnawake, des professeurs de langues, des chercheurs et des activistes autochtones. Kahtehrón:ni Iris Stacey en a prononcé le discours liminaire.
Comme il était indiqué dans le document d’orientation du symposium, les universités peuvent être des alliées des communautés autochtones dans leurs efforts de réappropriation, de revitalisation et de survie des langues.
Mme Stacey, qui est aussi préparatrice de programmes d’études au Kahnawake Education Centre, a quant à elle mentionné que les communautés faisaient des pas de géant dans la revitalisation et la promotion de leurs langues.
« Je pense que les universités doivent entretenir une relation très étroite avec la communauté afin de bien définir leur offre, non seulement pour attirer les étudiants autochtones, mais aussi pour nous doter des outils et des compétences nécessaires afin de concrétiser nos ambitions. »
Kahtehrón:ni Iris Stacey et Janine Metallic ont reçu une subvention pour un projet de recherche communautaire à Kahnawake, qui met à profit les archives linguistiques et s’adresse aux adultes qui souhaitent maîtriser parfaitement le mohawk.
« Nous voulons entre autres trouver des moyens de mieux soutenir ces apprenants qui veulent perpétuer la langue, explique Mme Metallic. Nous voulons aborder la recherche sous un angle différent, en nous demandant comment elle pourrait contribuer concrètement à la revitalisation. »
McGill renforce ses capacités en la matière. Le Département de linguistique et la Faculté des sciences de l’éducation sont à la recherche d’un spécialiste autochtone de la revitalisation. L’embauche de ce linguiste s’inscrit dans un effort continu pour recruter des professeurs autochtones à McGill, une recommandation clé du rapport du vice-principal exécutif.
Le Département et la Faculté ont aussi créé un programme ad hoc de maîtrise en revitalisation des langues autochtones pour une nouvelle étudiante des Premières Nations.
« Nous espérons que l’initiative fera boule de neige », affirme Jessica Coon, professeur agrégée au Département de linguistique.
McGill et ses partenaires autochtones forment les professeurs et les linguistes de demain
Le Bureau de la formation des maîtres inuits et des Premières nations de la Faculté des sciences de l’éducation collabore depuis longtemps avec les administrations scolaires des Premières Nations et inuites du Québec afin d’offrir des programmes de formation dans ces communautés.
Il propose notamment un certificat en éducation pour les Premières nations et les Inuits, un programme de 60 crédits dont les diplômés sont qualifiés pour enseigner dans les communautés autochtones.
« C’est notre plus vieux programme », précise Stephen Peters, directeur adjoint du Bureau. McGill offre ce programme et ses variantes depuis plusieurs décennies dans la commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq et la Commission scolaire crie.
« Sur le territoire cri et au Nunavik, tous les cours sont offerts en cri ou en inuktitut, ajoute-t-il.
Ces programmes contribuent à la pérennité de ces langues dans la communauté. »
En juin, plus d’une trentaine d’étudiants cris ont obtenu leur certificat en éducation pour les Premières nations et les Inuits, avec spécialisation en culture et langue, et une nouvelle cohorte d’étudiants cris suit le programme de McGill. « Il est conçu pour les professeurs de langue et de culture cries », explique Jim Howden, directeur du Bureau.
Kahtehrón:ni Iris, diplômée du programme, se souvient d’avoir beaucoup appris dans ses deux cours de kanien’kéha (langue mohawk).
« C’est là que j’ai vraiment compris que la langue est un système, qui englobe la grammaire et la morphologie. Comme apprenante autonome, c’était tout nouveau pour moi. »
En collaboration avec ses partenaires autochtones, McGill offre aussi un baccalauréat en sciences de l’éducation à une cohorte d’étudiants de Listuguj et de Kahnawake.
Le certificat en langue autochtone et alphabétisation des Autochtones (30 crédits) est avant tout destiné aux étudiants algonquins, cris, inuits, micmacs et mohawks qui enseigneront la langue de leur peuple.
« Ce programme est très populaire et connaît un franc succès », se réjouit Jim Howden.
Des revitalisations réussies
Selon Jessica Coon, du Département de linguistique de McGill, une substitution linguistique peut survenir rapidement.
« En règle générale, on parle de trois générations, dont une qui parle couramment la langue », explique-t-elle. Parfois, les enfants de la première génération n’apprennent que l’anglais à l’école et deviennent des « locuteurs passifs » de la langue maternelle : ils répondent à leurs parents en anglais et ne transmettent pas la langue à leurs enfants.
« Cette génération intermédiaire suffit à enclencher le processus, qui est plutôt rapide », précise-t-elle à propos de la disparition d’une langue.
« Et ce n’est pas évident tout de suite, car les membres de cette génération comprennent la langue. Ils l’utilisent parfois pour éviter de contrarier leurs interlocuteurs, mais en ne la transmettant pas à leurs enfants, ils signent son arrêt de mort. »
Or, il y a aussi de belles réussites en matière de revitalisation des langues autochtones. Mme Coon souligne les efforts pour faire revivre l’hawaïen et le maori, en Nouvelle-Zélande, où on a fait la promotion du foyer de revitalisation linguistique pour les jeunes enfants.
Selon elle, la revitalisation des langues est un processus complexe qui nécessite une approche globale. « Il faut miser sur une véritable approche multidimensionnelle de promotion de la langue dans la communauté. »
Au pays, la proportion de locuteurs d’une langue autochtone qui l’ont appris comme langue seconde est passée de 18 % en 1996 à 26 % en 2016, selon Statistique Canada.
Kahtehrón:ni Iris Stacey est l’instigatrice d’un plan quinquennal de revitalisation de la langue à Kahnawake, qui compte de nombreux locuteurs de langue seconde grâce au programme d’immersion pour adultes.
« Tous ces efforts ont aussi permis de former de nouveaux locuteurs de langue maternelle. »
La langue intergénérationnelle à la maison est aussi une priorité pour la communauté, ajoute-t-elle.
« Nous commençons à en parler et à songer à la suite des choses de manière réfléchie et critique, afin de tabler sur nos bons coups. »