Au tout début de sa carrière, alors jeune médecin à San Francisco, Don Sheppard s’est retrouvé soudainement propulsé sur la ligne de front de la crise du VIH. Chaque jour, il constatait les effets dévastateurs de cette maladie qui, en s’attaquant au système immunitaire de ses victimes, les faisait succomber aux infections opportunistes les plus banales. Mais à cette même époque, il a aussi observé le prodigieux revirement induit par les antirétroviraux. Grâce à ces nouveaux médicaments, le VIH devenait une maladie chronique, mais beaucoup moins mortelle.
« J’ai ainsi vécu une situation tout à fait exceptionnelle dans la médecine moderne : un mois après le début de leur traitement, des patients se levaient de leur lit de mort et rentraient chez eux », se rappelle Don Sheppard, aujourd’hui professeur au Département de microbiologie et d’immunologie de la Faculté de médecine de l’Université McGill et directeur de la Division des maladies infectieuses du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Une vingtaine d’années plus tard, le Dr Sheppard et ses collègues de l’Université McGill, du CUSM et de l’Hôpital général juif affinent constamment notre compréhension du système immunitaire humain afin de mieux lutter contre les nouvelles maladies immunitaires et infectieuses – et réalisent ce faisant des percées scientifiques majeures.
Consenti par la Fondation Doggone de Montréal, un don extraordinaire de quinze millions de dollars a permis d’établir l’Initiative interdisciplinaire en infections et immunité de McGill. La Faculté de médecine de l’Université et l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) se sont partagé cette somme en deux parts égales de 7,5 millions de dollars.
L’Initiative mobilisera plus de 250 chercheurs des divers départements de l’Université et des hôpitaux affiliés à McGill. Elle proposera des réponses novatrices aux maladies infectieuses ou perturbations immunitaires humaines, puis appliquera leurs conclusions obtenues en laboratoire aux patients et aux établissements hospitaliers du Canada et du reste du monde.
Ainsi que le souligne le Dr Don Sheppard, ce nouveau programme se déploie en un moment « formidablement stimulant ».
Les dangers que représentent les maladies infectieuses et les microbes pharmacorésistants sont désormais bien connus du grand public. « Cependant, nos connaissances sur le fonctionnement du système immunitaire s’accroissent de jour en jour ou presque, et ce bouillonnement de savoir nous permet d’accomplir d’immenses progrès! »
« Par ailleurs, l’Université McGill s’engage résolument sur la voie de la collaboration pour trouver les solutions les plus efficaces. La configuration actuelle est donc idéale », conclut le Dr Sheppard, directeur de l’Initiative.
Les équipes de recherche multidisciplinaire du programme s’intéressent à quatre champs d’étude : la résistance aux antimicrobiens; les maladies émergentes et ré-émergentes; les infections dans les populations vulnérables; et les maladies d’origine immunitaire. Chacun de ces quatre thèmes s’articule en trois secteurs prioritaires : recherche fondamentale, nouveaux diagnostics et solutions (par exemple, des vaccins innovants ou les immunothérapies).
« L’Initiative rien d’abstrait, au contraire : elle part du patient et ramène constamment à lui. C’est notre objectif », explique Marcel Behr, M. Sc. (1995), qui en est codirecteur[A1] . Il dirige également le Centre international de la tuberculose McGill, en plus d’être le chef associé du Programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale (MIISM) de l’IR-CUSM.
Ce projet est unique en son genre, souligne Marcel Behr, en ceci notamment qu’il rallie l’ensemble des forces vives de l’Université McGill en abolissant les frontières qui séparent généralement les équipes. Il suscite ainsi une véritable collaboration entre les instituts de recherche hospitaliers.
« Pour nous, cela ne fait aucun doute : la clé du succès réside dans la mise à contribution de l’inventivité des 250 chercheurs au profit d’un seul et même but », souligne Don Sheppard, dont le laboratoire est implanté dans les locaux de l’IR-CUSM.
« Aujourd’hui, il est impensable que les scientifiques continuent de travailler comme des artisans, chacun dans son coin, uniquement préoccupé de son propre travail. L’heure est venue d’adopter une approche véritablement enracinée dans l’ère moderne. »
Au Canada comme à l’étranger, les maladies infectieuses constituent un redoutable danger. En effet, non seulement elles représentent l’une des principales causes de mortalité à l’échelle planétaire, mais elles menacent aussi la population canadienne par le déferlement des épidémies incontrôlées et l’accroissement de la résistance aux antibiotiques.
L’Organisation mondiale de la Santé, rappelle Don Sheppard, estime que « les antibiotiques seront devenus inefficaces ou presque d’ici 2030 ou 2050, selon les rapports consultés. » De plus, ajoute-t-il, les grandes compagnies pharmaceutiques ne réalisent plus de progrès notables dans ce domaine.
« Nous voulons donc inventer des antibiotiques complètement différents de ceux que nous avons connus jusqu’ici. En réalité, ce seront des traitements qui feront évoluer le corps humain, qui lui permettront de s’adapter pour cohabiter avec les micro-organismes ou les éradiquer dans les organes dans lesquels ils se révèlent nuisibles. »
L’avancée de nos connaissances sur le système immunitaire permet maintenant aux scientifiques de reprogrammer nos défenses naturelles contre les infections, mais aussi de mieux combattre les perturbations immunitaires.
Des maladies inflammatoires de l’intestin jusqu’au cancer, ces perturbations constituent d’ailleurs le thème le plus important de l’Initiative.
« Toutes ces maladies sont maintenant traitées par la reprogrammation de l’immunité, ce qui nous procure une compréhension de plus en plus précise du fonctionnement du système immunitaire et de ses interactions avec les variables microbiologiques », souligne Don Sheppard.
Le réseau des établissements hospitaliers d’enseignement de l’Université McGill dispose d’un extraordinaire bassin d’immunologistes de haut niveau à la fine pointe de ces recherches, ajoute-t-il. De plus, le projet bénéficie de l’apport d’une centaine de scientifiques cliniciens actifs qui travaillent à la fois dans le domaine clinique et dans la recherche scientifique, et peuvent ainsi établir des ponts entre ces deux sphères d’activité.
« Cette initiative témoigne bien des nouvelles orientations de la Faculté de médecine », note Philippe Gros, vice-doyen, Sciences de la vie, de cette faculté. « Cette priorité stratégique s’appuie sur les forces que les chercheurs des différentes disciplines de l’Université McGill ont développées au fil des décennies. À terme, elle améliorera l’état de santé de nombreuses personnes dans le monde. »
Suzanne Fortier, B. Sc (1972), Ph. D. (1976), principale de l’Université McGill, et Martine Alfonso, B. Sc. P. T. (1988), présidente-directrice générale adjointe du Centre universitaire de santé McGill, ont toutes deux exprimé leur immense reconnaissance à l’égard de la Fondation Doggone, soulignant que sa décision visionnaire aurait incontestablement des répercussions positives considérables.
« Ce don nous permet d’optimiser les capacités de recherche de l’ensemble de la communauté mcgilloise et de focaliser nos efforts sur des défis particulièrement complexes en matière de santé », a résumé Suzanne Fortier.
« Ensemble, le CUSM, l’IR-CUSM et les partenaires affiliés à McGill possèdent une expérience, une ambition et une détermination absolument extraordinaires », a déclaré pour sa part Martine Alfonso. « Cette initiative très stimulante contribuera de manière décisive au déploiement des plateformes et outils les plus indiqués pour permettre à nos spécialistes de proposer, en collaboration avec notre vaste réseau international, des réponses vraiment ciblées à des problèmes de santé majeurs dans le monde. »
La Fondation Doggone a été établie en 2011 par Elspeth McConnell, aujourd’hui disparue. Entre autres initiatives philanthropiques, cette journaliste montréalaise a généreusement soutenu les activités du Centre universitaire de santé McGill pendant plusieurs années.
Pour Paul Marchand, B.C.L. (1966), LL. M. (1985), directeur exécutif de la Fondation Doggone, l’Initiative constitue un projet fabuleusement novateur qui « pourrait avoir des conséquences décisives, et même révolutionnaires, sur la santé au niveau mondial. »
« Le moment est venu de passer à l’action et, grâce aux chercheurs de renommée internationale qui travaillent sur les maladies infectieuses et sur l’immunité au CUSM et à l’Université McGill, c’est à Montréal que cela va se faire. L’Initiative représente un excellent exemple du type de projets que la Fondation aime appuyer : des collaborations qui peuvent changer le monde », résume-t-il.
D’autres appuis philanthropiques seront sollicités pour élargir la portée de l’Initiative. Les équipes de recherche implanteront leurs projets axés sur le patient dès 2019. Elles s’intéresseront en priorité aux grands dangers qui menacent la santé humaine dans l’optique de produire des résultats significatifs et concrets pour les personnes malades.
Don Sheppard a su tirer les leçons du revirement antirétroviral de la crise du VIH.
« C’était une époque invraisemblable à bien des égards, mais elle m’a appris qu’une alliance judicieuse entre la recherche, les pressions sociales, les investissements et la motivation peut venir à bout des maladies les plus dévastatrices. Aujourd’hui encore, du point de vue médical et scientifique, il n’existe aucune maladie qui cause autant de ravages et soit aussi difficile à vaincre que l’était le VIH à ce moment-là. Néanmoins, nos efforts ont porté fruit. »